"Je suis parti d’une analyse primaire des choses : le volume existe pour l’œil grâce au clair / obscur et donc à la lumière. Pour le toucher, le volume existe de manière très spécifique et
différente : ce que le toucher propose, ce n’est pas une représentation à distance et changeante d’un volume en fonction de l’avancement du jour, mais une expérience physique de la géométrie du
volume. L’outil de cette expérience est le doigt, avec cette pulpe que Louis Braille a eu l’idée d’utiliser pour créer son alphabet.
Depuis quelques années maintenant, je plie du papier. J’ai récemment franchi une nouvelle étape puisque, grâce à un outil logiciel, je
conçois des volumes virtuels que j’ai appris à déplier pour les imprimer. J’obtiens ainsi une sorte de patron de mon volume. Je le plie à nouveau, mais « pour de vrai » avec un papier
relativement fin et j’obtient la forme que j’ai imaginée, augmentée des variations et autres marques de travail que le pliage a laissé sur le papier. La décomposition en plans qui s’opère par le
pli dans ce type de volumes est d’un intérêt très fort pour moi, car ils décomposent le clair / obscur en valeurs de gris nettement distinctes d’un plan à un autre.
Cependant, étant donné la dimension voyant / non-voyant du concours de nouvelles, il fallait que cet intérêt soit immédiatement perceptible
aussi par le toucher. C’est pourquoi j’ai imaginé un doigt composé d’environ 90 polygones triangulaires dont les facettes sont obtenues par un pliage créant une sorte de légère saillie le long du
pli d’un plan à l’autre. Tous les plis sont connectés entre eux et proposent différents chemins que le doigt peut suivre. Puisque la géométrie de chaque plan est différente, chaque plan possède
une valeur différentes dans l’expérience de la géométrie que le doigt effectue en le touchant. Il est alors « capté » par le pli vers un autre plan, ou peut choisir de poursuivre son voyage de
pli en pli.
Pourtant, si j’ai choisi de mettre en avant la dimension symbolique du doigt dans l’invention de Louis braille, cette description n’est que
le point de départ du projet, puisque ce doigt contient les cinq trophées. En effet, le volume à facettes du doigt s’ouvre en quatre sections verticales, dévoilant en son centre un cinquième
élément sur lequel est reproduit l’alphabet braille. Je trouve assez réjouissant que le caractère très narratif de l’ensemble colle au plus près du sujet, mais qu’une fois les trophées remis, il
acquière une dimension beaucoup plus abstraite pour celui qui le découvre hors contexte. Reste le plaisir de faire courir son doigt sur une surface dont les plis, très ordonnés, racontent une
forme qui n’est pas sans rappeler le doigt du sculpteur César."
Photographies d'Ernest Puerta