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blog du sculpteur Stéphane Gantelet

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97-------------- Néri Oxman --------------------------------------------------

Publié le 10 Mai 2012 par Stéphane Gantelet

 

Vendredi matin, j'étais invité à Beaubourg pour une rencontre avec l'artiste Néri Oxman qui expose 18 sculptures dans le cadre de l'exposition "Multiversités créative".

 

Son travail de réflexion sur la nature des structures qui composent les organismes vivants et sa tentative d'en appliquer les principes dans une réalisation plastique m'intéressent depuis la visite très stimulante de l'exposition "design and the elastic mind" au MOMA de New York.

 

Elle exposait une pièce de forme résolument organique et translucide dont les parties structurelles supportant du poids avait une épaisseur plus importante que les parties du volume qui supportaient moins de charge. Il en résulte une forme dans laquelle la lumière circule plus ou moins selon l'épaisseur. Pour parfaire la cohérence de l'ensemble, la forme elle-même est déterminée par une mise en relation des paramètres XYZ d'un plan dans l'espace avec l'intensité lumineuse de plusieurs lumières virtuelles. En d'autres termes, si j'ai bien compris, la lumière est convertie en volume. Tout cela bien entendu se passe dans l'espace virtuel, sur logiciel, qui rend possible ce genre d'interpolation.

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Néri Oxman à Beaubourg

 

Néri Oxman enseigne au Midia lab du MIT haut lieu de concentration en matière grise et aborde de manière forcement pertinente, sur des bases scientifiques, une production artistique sous forme de sculpture. On connaît la capacité de l'imagerie médicale à fabriquer des images séduisantes et surprenantes d'autant qu'elles donnent à voir des choses cachées à l'intérieur des tissus et les cellules. Le recours au volume dont le cas de Néri est rendu possible par les progrès récents de l'impression 3D. D'ailleurs l'exposition est sponsorisée par la société Objet qui fabrique de telles machines.

 

Pour ses nouvelles sculptures Néri Oxman s'est concentrée sur des organes et le squelette humain avec notamment la série des poumons et des têtes de minotaure. Bien que libérée de la référence descriptive du sujet, la structure de la pièce suis néanmoins une logique issue de l'étude des os ou des tissus (le poumon par exemple). Ainsi on reconnaît illico les poumons taille réelle d'un homme mais la forme est nouvelle et déroutante. D'autant plus déroutante que ses entrelacs de surface qui relient les cavités entre elles renvoient fortement à des formes issues du monde numérique de l'imagerie médicale. En effet, que ce soit le choix des couleurs et des matériaux plastiques que les imprimantes 3D utilisent (ABS, polycarbonate et résines) ou encore la forme des entrelacs conçus par la modélisation NURBS, on est clairement devant un volume étrangement neuf et pourtant connu. La matérialisation d'une image a un effet sidérant.

 

Lors de cette rencontre, Néri Oxman a exprimé l'idée, que j'ai déjà évoquée dans ce blog à propos des sculptures en papier, que dans la nature la surface d'une feuille d'arbre par exemple est tout à la fois la structure et la peau de la peau. Il n'y a pas de rupture de continuité entre l'un et l'autre comme dans l'architecture de nos immeubles fabriqués avec des petits bouts d'éléments disparates assemblés. Mieux, dans la nature les structures germent et se développent par croissance. Ainsi ses sculptures sont le fruit de mesures de tensions sur le squelette pour que la forme dérivée de cette observation intègre en un même objet, et dans un même acte de construction par la machine d'impression 3D, un matériau mou et un autre rigide. La couleur varie également d'une zone porteuse à une autre. Sur la série des crânes, des zébrures apparaissent évoquant un motif décoratif un peu gratuit qui renvoie aux animaux (un zèbre par exemple). Il n'en est rien pourtant. Il s'agit de zones correspondant à celles où les os d'un crâne s'emboîtent et conservent une certaine souplesse pour permettre à ces derniers de faire des micros mouvements et donc de s'adapter à un certain nombre de pressions extérieures et de coups. Donc rien n'est gratuit dans ce traitement de la surface de la sculpture.

 P1110047-001.JPG

Quelques échantillons dans une imprimante Object

 

Pourtant et c'est à mon avis un des grands intérêts de cette exposition, de nombreuses questions et doutes m'assaillent. Tout d'abord les sculptures sont toutes prisonnières de cubes de plexiglas les protégeant ainsi de toute forme de contact interdisant d'éprouver la plasticité interne dont elles sont pourtant dotées. C'est donc le concept qui tient l'édifice c'est à dire une part de l'intelligence des systèmes naturels ainsi simulée et matérialisée à l'aide de la technologie. Je viens de l'âge du bronze où du temps de mes jeunes années de sculpteur j'étudiais l'anatomie et réalisais en bronze ce que j'observais avant de m'ouvrir à des formes plus contemporaines. Et de ces années je retiens que les discussions artistiques n'étaient en fait que des discussions techniques. Il fallait résoudre des problèmes techniques de coulée et étudier différents systèmes pour réaliser des projets dont finalement ces systèmes étaient la justification première. Sur les salons, à la rencontre des visiteurs, les discussions techniques prenaient invariablement le pas sur les discussions artistiques. J’ai à nouveau cette curieuse sensation aujourd'hui au travers de cette rencontre pourtant passionnante. C'est un peu comme si en pénétrant plus à fond dans les processus de création high tech on en revenait à brandir la science et l'observation de la nature comme justification d'une expression artistique. Sans la nommer Néri parlait à un moment donné de sa présentation de la notion de praxis. Et cette idée de praxis qui dit que grosso modo l'idée influence l'outil et vice-versa ne date pas d'aujourd'hui puisqu'elle a été théorisée par les Grecs de l'antiquité. Dans l'approche hautement scientifique de son art Néri Oxman développe donc un rapport à la forme finalement assez traditionnel.

 

L'édition d'un catalogue très beau mais traitant les sculptures comme des objets publicitaires sans créativité visuelle accrédite l'idée d'une approche artistique où les moyens scientifiques et techniques considérables mis en oeuvre serait une justification suffisante pour ancrer le travail de Néri dans une contemporanéité de l'art indiscutable.

 

Le travail de volume dans l'espace virtuel, donc sous logiciels 3D, dès lors qu'il cherche à faire autre chose que des formes déjà créées par l'homme de manière traditionnelle laissé une empreinte bien visible à l'oeil nu. Ainsi le"shape" des formes créées grâce aux courbes NURBS est très facilement identifiable et concourt à afficher la nature des outils utilisés. Une autre signature laissée par le logiciel est systématiquement présente dans les sculptures de Néri : la création symétrique. Cette technique permet de ne créer que la moitié d'une forme, l'autre moitié étant créée de manière automatique le long d'un axe de symétrie. Ainsi la partie droite est le miroir de la partie gauche. Cette répartition systématique de la forme, ce rythme symétrique, contredit l'observation minutieuse de la nature qui au contraire multiplient à l'infini les variations.

 

Un autre effet de cette approche technique est la présence d'un joint, d'une ligne de coupe parfaitement rectiligne, divisant les deux hémisphères. A cet instant le problème devient majeur car cette marque évoque instantanément le plan de joint laissé par toutes pièces moulées de manière traditionnelle venant ainsi en contradiction complète avec le concept de recherche de sa sculpture. Il est difficile d'évoquer une simulation d'un principe de construction empruntée à la nature quand la nature de la forme évoque à ce point un objet fabriqué de manière banale et classique comme l'injection de plastique dans un moule. Alors je me pose la question et me dit que l'art contemporain est à ce point ouvert qu'il englobe à présent les approches traditionnelles de la matière pour générer des formes nouvelles.

 

Car, une fois encore, les sculptures de Néri que l'outil logiciel associé aux imprimantes 3D son nouvelle du point de vue de la matière et de la forme car elles le sont du point de vue conceptuel et technique. Il était d'ailleurs intéressant de les confronter avec les oeuvres numériques de l'artiste Casey Reas comme cela est le cas dans l'expo de Beaubourg. Cet artiste produit des formes à l'aide de "processing" en créant des codes qui seront interprétés par la machine pour restituer sous forme de vidéo en temps réel des volumes en mouvement. Ses volumes n'existent donc pas physiquement mais une poésie visuelle opère exonérée des risques d'une incarnation dans la matière. En discutant avec des responsables de la prospective de Beaubourg j'ai appris que l'auteur d'une oeuvre réalisée par l'exécution d'un programme posait un problème en droit français car le droit d'auteur alors ne peut pas s'appliquer.

 

Ainsi la nouveauté technique d'une approche de la sculpture pourtant classique à certains égards ouvre un champ de réflexion à tous les niveaux permettant de la sorte la relance d'une réflexion stimulante sur l'art.

 

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