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blog du sculpteur Stéphane Gantelet

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143 - Artpress2 - l'art dans le tout numérique --------------

Publié le 6 Août 2013 par Stéphane Gantelet

Lu dans Artpress2 n°29 intitulé « l’art dans le tout digital» articles de fond sur l’art numérique aujourd’hui. Intéressant et stimulant même si pas facile à lire. Un truc rigolo qui donne le ton pour commencer ce post un peu long: pas un article dans ce magazine dédié à l’art contemporain qui ne parle « d’ontologie ».

Reflexe rapide et Wikipédia en ligne pour me rappeler que l’ontologie désigne en philosophie l'étude de l'être, de ses modalités, de ses propriétés, c'est-à-dire l'étude des propriétés générales de tout ce qui est. Mais petit problème, l’ontologie à une définition qui s’applique également à l’informatique : une ontologie informatique est l'ensemble structuré des termes et concepts représentant le sens d'un champ d'informations (métadonnées par exemple). Et cette double définition résume à elle seule les débordements que les techniques de l’information opèrent à tous les niveaux.

A commencer par celui qui concerne l’être, donc l’art. Pour faire simple et réduire le bidule à quelques mots les auteurs analysent la manière particulière que possède le numérique pour réaliser une tâche par le code (qui est une forme de langage) pour dire en quoi l’art numérique n’est pas une catégorie de l’art mais une pratique ouverte à toutes les dimensions de l’art.

Il est ainsi dit au fil du magazine que le code à l’œuvre pour la réalisation d’une œuvre numérique tel qu’une image animée par exemple est séparé de la perception. En effet, le code est écrit afin de générer une transformation dans le temps mais l’écriture du code du programme exécutant cette action ne ressemble en rien au résultat final. Un code avec un système de variables et de boucles à incréments peu produire une image qui se transforme à l’infini subissant une variation à chaque fin de boucle à la faveur d’une nouvelle incrémentation des variables du programme. Impossible dès lors pour le programmeur et le spectateur de tout voir et tout connaitre de la production visuelle du programme. Ainsi, Grégory Chatonsky montre qu’un artiste proposant une œuvre réalisée avec du code ne construit pas sa proposition artistique en fonction de l’image à la manière d’un peintre. « La perception ne peux pas être considérée dès lors comme un point final car il y a un programme qui opère indépendamment d’elle. »

A ce stade, reprenant les réflexions de Walter Benjamin sur la notion d’original et de copie en photographie (l’original serait doté d’une aura irréductible qui le distingue à jamais de la copie), l’auteur montre que tout code qui s’exécute tel que l’affichage d’une image au format JPG par exemple est une traduction, une transposition et finalement une concrétisation qui n’affiche pas l’image à l’écran de manière toujours identique selon le temps et le lieu. Le taux de compression du fichier entraine le processeur à prendre des décisions, le profil colorimétrique de l’écran, la correction gamma du système, tous ces paramètres se conjuguent pour faire de chaque copie de fichier une sorte d’original pourvu de l’aura dont parle Walter Benjamin. Ainsi donc la numérisation de la réalité au travers d’une photo réduit cette dernière à un code en lui conférant pourtant une dimension unique !

Arrivé à ce stade de la lecture je me dis que j’ai bien fait de m’accrocher et que j’ai ainsi compris plein de trucs tout en me demandant en quoi cette analyse m’éclaire sur ma pratique de « la chose » numérique en bon aveugle que je suis des mécanismes philosophiques et algorithmiques sous-jacents de ma machine. Mais j’ai tord bien sûr et ce n’est que le début. Car très subtilement les auteurs mettent en branle ces axiomes tout justes énoncés pour déployer leur vision et me permettre d’y rattacher mon expérience d’artiste numérique.

Car ce réductionnisme de la numérisation au code ne l’entraine pas pour autant vers l’abstraction, vers un univers de formes idéales décrites par une formule mathématique. Je m’explique : le code est une abstraction, ok. Mais pas une réduction mathématique. Une formule mathématique décrit parfaitement une chose et la circonscris. Cette chose, une forme par exemple, est décrite de manière pure et parfaite par la formule sans variation dans l’espace et le temps ce qui, on l’a vu, n’est pas le cas de la forme codée produite par un programme. Ainsi donc le numérique garde une dimension matériel et non idéale : « le langage numérique s’applique à toute choses car il est indifférent au sens et à la substance. »

Si le numérique est d’essence matérielle sa relation à la matière est ébouriffante. En effet il peut simuler la matière, la précéder. En un mot il peut s’en passer ! Jean Louis Déotte en revenant sur l’expo de jean François Lyotard à Beaubourg en 1985 s’appuie sur la notion d’immatériaux pour montrer que l’on est passé des matériaux des modernes aux immatériaux des postmoderne et qu’à partir du moment où la matière n’est plus donnée, l’expérience n’est plus une valeur, pas plus que le travail, la volonté et l’émancipation.

Si j’essaie de mettre de l’ordre dans ce que j’apprends je dirais que « la chose » numérique s’intéresse indifféremment à tout (et donc à l’art) en le produisant par le code d’une manière que chaque fichier possède un caractère unique dénué d’intérêt particulier et donc nous amene à considérer cette production sous l’angle d’une production matérielle bien qu’elle soit au fond virtuelle.

Admettons. Mais la messe n’est toujours pas dite car Boris Groys rappelle que pour virtuel que soit cette nouvelle matérialité numérique, elle n’en possède pas moins une place physique dans un lieu précis comme en témoigne l’url de tout fichier sur internet déposé au préalable sur le disque dur d’un serveur localisé dans le monde dont c’est précisément l’adresse. Un nouvel élément matériel concret s’ajoute ainsi à celui de l’essence matériel du numérique. Il est donc doublement matériel.

Mais lorsqu’on clique sur un fichier pour faire apparaitre le logiciel capable de le décoder une opération quasi « surnaturelle » s’ensuit puisqu’on convoque un programme comme on convoque un esprit  en le nommant pour déchiffrer le code qui apparait comme un langage ésotérique. Très malicieusement Boris Groys pointe du doigt que ce faisant, en étant connecté au réseau, nous nous donnons à voir à l’esprit. Car sur internet votre travail ou votre déambulation est cartographiée et archivée. Et cet esprit, ce dieu qui vois tout, à des préoccupations bien terriennes.

Ignacio Ramonet insiste d’ailleurs sur la convergence de l’ensemble des données de la planète dans les mains d’une poignée de latifundistes  Américains avides d’informations à monnayer. Pour autant cette limite ne s’applique qu’à la production d’une œuvre qui se déroulerait sur le réseau dont symboliquement la propriété échappe à son créateur à l’instant de la mise en ligne.

En tout cas, une fois tout lu, puis relu et annoté cet Artpress2, si j’ai bien compris, l’art numérique n’est pas une catégorie de l’art. En tout cas c’est un non-sens de le dire, une non catégorie, car « le numérique n’est pas un médium, il est sans essence » (Grégory Chatonsky). Ou encore « l’art numérique n’as pas eu lieu car l’art numérique est à l’œuvre quoi qu’il arrive » (Patrice Maniglier).

Lire des réflexions structurées de penseurs sur les outils que j’utilise dans ma pratique quotidienne m’intéresse. Mais il est parfois difficile d’établir des ponts entre ce que je vis et ce que je lis. Je me dis alors que je vis surement mal ce que je dois vivre et qu’en conséquence, soyons cash, je suis au mieux à côté de la plaque et au pire un artiste sans intérêt. Cette vision de soi avec laquelle il faut composer en permanence, les articles théoriques sur l’art numérique on le pouvoir (pas toujours agréable) de l’aligner parfaitement dans l’axe de mon regard. Autant dire que les « ontologies » en tous sens des contributeurs à cet arpress2 m’ont soumis à la question sans ménagements.

Mais mon intérêt pour cette « chose » numérique m’accroche aux mots. Et le sens de ces derniers, l’articulation précise qui en est faite par les auteurs des articles dessine peu à peu une vision de l’art numérique intelligible, ouverte et reliée à la vie tel un méta matériau sous-jacent pétrissable à volonté. Une sorte de terre glaise intellectuelle très plastique. Patrice Maniglier écris ceci à propos de l’esprit dans lequel les artistes abordent les nouvelles technologies : « leur esprit est impur autant que leur outil. Leur intérêt ne va pas à l’essence de leur pratique, mais aux virtualités des choses qu’ils manipulent. C’est un esprit bricoleur-on dirait sans doute pour faire plus subversif, hacker, et l’on aurait raison ».

Et là je suis content, soulagé et émerveillé car, promis juré, je n’arrête pas d’expliquer aux amateurs que je rencontre depuis des années que la modélisation que je pratique pour créer sculptures, bijoux et autres vidéos en images de synthèses est le lieu du bricolage, d’une praxis véritable transcendée par les outils numériques en un garage de pièces disjointes et hétéroclites qui pourtant produiront une forme dans une tentative où l’erreur, l’accident et l’échec trouvent naturellement leur place. Pas différent de mes années de fondeur et pourtant bien autre chose. Peut-être pas si différent de mon processus personnel d’émancipation dans la vie en particulier. En tout cas définissant  mon rapport à une ontologie de l'art en général.

143 - Artpress2 - l'art dans le tout numérique --------------
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